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8 février 2010

Coccinelle - du début à la fin

"Coccinelle", un conte pour les petits, les moyens et les grands, en exclusivité mondiale!


Coccinelle

 

 Herbert marchait sans but. Un arbre, une abeille, un poteau... Ils défilaient devant lui sans qu'il les voie vraiment. Une mouche passa en vrombissant près de son oreille droite. Sa main se leva automatiquement pour la chasser, mais au lieu de se donner une claque, il continua sur sa lancée et amena sa main à hauteur de ses yeux. Ses ongles étaient bleus. Depuis quand étaient-ils bleus? Il chercha ce qu’il avait pu manger au petit déjeuner, quelque chose de bleu... des myrtilles peut-être ? Non, les myrtilles font des taches rouges. à moins qu'elles ne soient bleues? C'était à approfondir, mais dans la mesure où pas la moindre myrtille n'avait été introduite dans la maison depuis l'automne dernier, la question était inutile. N'empêche, comme le disait Wilaola, la plus vieille femme du village, et sorcière à ses heures d'après certains, aucune question n'était jamais inutile. Trouver une bonne question, dont la réponse serait franche et nette, relevait de la quête du Graal, et la couleur des tâches des myrtilles était de ce genre-là.

 Mais il y avait plus urgent : le bleu sur ses ongles. Dessus ou dedans? Il leva son autre main et se gratta l'ongle de l'index avec l'ongle du pouce. Puis il racla en dessous. Rien. Diable, qui avait jamais vu des ongles bleus? Peut-être s'agissait-il d'une maladie? Mais les maladies ne montrent le bout de leur nez que subrepticement, petit à petit. Elles se font petites pour grandir tranquilles et à l'abri des médicaments. Or ce bleu-là était apparu d'un coup, pour ce qu'il en savait. Il secoua les mains, dans l'espoir irrationnel que cela ferait disparaître la couleur, et les questions avec. C'était la raison de sa présence sur le chemin familier de l'école, un mercredi après-midi. Fuir ces satanées questions.

Herbert passait son temps à se demander tout un tas de choses, et obtenait rarement des réponses satisfaisantes. Le monde était une toile d'araignée de questions sans réponses. Une fois qu'on en avait posé une, on s'engluait dans celles qu'on soulevait en cherchant à y répondre. On n’en sortait plus. Les explications que lui donnaient ses parents étaient toujours mal ficelées, bancales.... Celles de Wilaola étaient bien meilleures, mais le prix à payer, une mèche de cheveux, limitait sérieusement ce qu'il pouvait se permettre de lui demander chaque jour. Il secoua la tête. La question des ongles bleus valait cependant certainement un petit sacrifice. Regardant une dernière fois ses mains, et le bleu qui semblait le narguer, il partit en courant vers le bourg.

 La petite maison de Wilaola était juste à côté de la mairie. Les anciens disaient toujours que c'était pour tout régenter sans bouger de chez elle. Mais Herbert savait que depuis qu'elle était arrivée dans le canton, les maires, les uns après les autres, avaient tenté de l'attirer plus près de la mairie. Ils voulaient tous l'avoir sous la main au cas où une question insoluble se présenterait, ce qui arrivait bien trop souvent à leur goût. Herbert ne savait pas quand exactement elle avait pris possession de cette jolie bicoque, mais il était évident que c'était le maire actuel le responsable. Il n’y avait qu’à remarquer sa calvitie irrégulière pour en être convaincu.

 Herbert leva un doigt, pesta en constatant que le bleu initialement ciel était maintenant turquoise, et enfonça le bouchon de liège qui dépassait du bouton de la porte. Wilaola, devenue un peu dure d'oreille avec l'âge, avait installé cette manière de carillon, et quand on annonçait ainsi sa présence, cela déclenchait une mélodie sonore, très gaie, plutôt jolie et certainement unique en son genre, à base de cris de mouettes, de cuillères tintinnabulant sur des verres en cristal, lesquels chantaient la note éternelle du verre et du doigt qui le caresse. Une minute passa, le temps pour les mouettes de se faire plaisir, et la porte s'ouvrit sur Wilaola, souriante et toute de vert vêtue.

- Entre Herbert, dit-elle, entre vite, je viens justement d'ouvrir une bouteille de jus de bleuet, tu en veux?

- Ah non, merci bien, le bleu et moi, ça fait deux aujourd'hui ! répondit-il en allant s'asseoir dans le grand sofa couleur de cerise mûre.

- Enfin, j'aimerais bien! Regarde!

Et il leva ses mains. Wilaola resta, pour une fois, immobile pendant quelques instants.

- Qu'est-ce que c'est que ça? Tu es allé te promener près du vieux noyer?

- Et bien, ... oui, je crois. Attends voir, en rentrant de l'école à midi, j'ai vu une coccinelle un peu spéciale, et en la poursuivant, j'ai dû passer sous le noyer...

- Qu'avait-elle de spécial, cette coccinelle?

- Et bien, il m'a semblé que sur sa carapace, il y avait des petits points d'interrogation. J'ai voulu voir ça de plus près, mais elle s'est envolée. J'ai essayé de la suivre, mais c'est que ça vole vite, une coccinelle!

Les yeux de la vieille femme s'écarquillèrent.

- ça oui, pas de doute...

Wilaola s'interrompit.

- Attends une seconde, c'est une question qui n'en a pas l'air, ça! Tu essaies de m'avoir!

- Oui bon, c'est vrai, mais regarde ma tête, Wilaola, on se moque déjà de moi, alors...

Sa coupe de cheveux était pour le moins originale. On aurait pu penser que c'était une tentative pour suivre la mode. C'était déjà ça. Mais Wilaola s'était reprise, et avait sorti ses ciseaux. Ils étaient très jolis, incrustés de petits pétales d'argent.

- "Attends un peu! Tu es trop pressée de couper, ça sent la réponse poupées russes, ça.

- Mais non voyons...

- Tu dis toujours ça! Et puis zut! Vas-y, je n'ai pas le choix, mais tant qu'à faire, je vais te poser la vraie question: comment je me débarrasse de ça?

Il leva ses mains pour lui montrer, et constata que le turquoise avait tourné à l'indigo. La couleur ondoyait, on aurait dit qu'elle était vivante. Wilaola le considéra avec attention pendant un long moment, le scrutant des yeux, les ciseaux oubliés dans sa main relâchée.

- Dis-moi Herbert, ta question, ce ne serait pas plutôt : pourquoi mes ongles sont-ils devenus bleus? Ou : pourquoi la couleur n'arrête pas de changer depuis? Au lieu de : comment je fais disparaître cette couleur? Parce que je ne suis pas d'accord avec toi, je trouve ça très joli, moi, des ongles bleus, parfaitement, même sur les mains d'un garçon!

C'est que Wilaola en connaissait un rayon sur les ongles qui changent de couleur. Intérieurement, elle était à la fois catastrophée et ravie. Elle avait, elle aussi, les ongles d'une couleur suspecte. Mais elle les vernissait consciencieusement chaque semaine d'une couleur différente. Vert, orange ou violet... Cela ne faisait qu'aller dans le sens des villageois qui la pensaient un peu perchée du bocal. Ainsi, personne ne pouvait voir que, sous le vernis, les ongles ne cessaient de changer de nuance selon son humeur. Mais le plus inquiétant, c'était ce qui allait avec. Sa double vie que personne, pas même Herbert, ne soupçonnait. Elle n'était pas dure d'oreille, ça non, mais le joyeux tintamarre du carillon portait très loin et lui permettait de revenir dare dare quand quelqu'un se présentait à la porte. Elle hésitait, paire de ciseaux à la main. Elle devait le mettre au courant. Elle ne voyait pas quelle autre solution adopter. Il fallait qu'elle le guide.

Mais comment allait-il réagir? Lui qui voulait tellement de réponses, comment prendrait-il le fait de passer de l'autre côté, d'être celui qui fait naître les questions? Et ce n'était qu'un enfant. Mais elle-même n'était pas beaucoup plus âgée quand elle était passée sous le noyer. Et personne ne lui avait rien expliqué. Elle avait dû comprendre seule, faire des essais, se tromper. La culture de questions était une entreprise délicate. Le but n'était pas de rendre les gens malheureux avec des angoisses innomables qui les poursuivaient toute une vie. Non, le but était de les éveiller, de les réveiller, en leur soufflant à l'oreille ce qui les amènerait à prendre conscience du prix de la vie, du prix de leur vie. Il fallait qu'ils prennent conscience que leurs actions avaient des conséquences, qu'ils étaient responsables autant que les autres de tout ce qu'ils considéraient comme inutile et mauvais autour d'eux.

- Ecoute Herbert, il y a quelque chose qu'il faut que je t'explique, dit-elle en reposant, enfin, les ciseaux dans leur étui, sur la table basse jaune canari.

Herbert la regarda, stupéfait de la voir renoncer à une mèche de cheveux.

- Tes ongles bleus, ce n'est qu'une partie de ton problème. Tu vas bientôt ressentir des fourmillements dans le dos.

Les yeux noisette d'Herbert s'ouvrirent plus grand encore. Comment savait-elle ça? ça le chatouillait depuis quelques secondes à peine, et il en était encore à se demander pourquoi.

- Tu cherches des réponses, mais bientôt tu chercheras des questions. Tu verras que c'est bien plus difficile.

Il vit quelque chose frémir derrière elle, et presque tout de suite après, sentit un bourdonnement dans son propre dos. Voilà que ça le chatouillait derrière les coudes maintenant.

- L'être humain ne progresse que quand il s'interroge sur la vie, sur ce qui l'entoure. C'est à nous de lui souffler matière à réfléchir. A nous de rendre l'Homme meilleur. Ce matin, sous le noyer, l'Être de la Sève a dû sentir que j'étais en train de me résigner. C'est ce qu'il peut nous arriver de pire, vois-tu. Et tu es passé là juste au bon moment, la tête pleine de questions, des questions que je n'avais pas semées. ça veut dire que je vais pouvoir me reposer, enfin.

Un bruissement se fit entendre. Wilaola et Herbert regardèrent tous deux le sol, près des pieds chaussés de vert de la vieille femme. Deux ailes d'insectes y reposaient, noires, légères, miroitantes et pareilles à des broderies de grand prix.

- Je ne pensais pas que ça irait si vite, dit-elle, les yeux et la voix un peu tristes. Ainsi, c'est vraiment fini pour moi.

Elle restait là, les yeux fixés sur les ailes nacrées qui se flétrissaient petit à petit. Bientôt il n'y eut plus à leur place qu'un peu de poussière noire et brillante.

Herbert, quant à lui, se sentait de plus en plus léger. Littéralement, il avait même du mal à garder les pieds sur terre. Il dut lever les yeux pour regarder Wilaola, qui lui paraissait maintenant immense.

- Viens, il faut que je te montre quelque chose, dit-elle en se détournant.

Elle alla au fond de la pièce et ouvrit une petite porte qui avait toujours intrigué Herbert. Il en sortait une lumière verte, d'une faible intensité mais qui pulsait doucement.

- C'est ma plantation, ce sera à toi d'en prendre soin désormais.

Herbert s'approcha, et vit 4 longs bacs en bois, remplis de terre fine et noire. Il y poussait, bien alignées, des rangées de petites plantes. Des grappes de graines s'y accrochaient, et émettaient parfois une lueur brève et verte. Il s'avança au milieu de la pièce, devant une rangée prête à recueillir de nouveaux plants, et constata qu'il pouvait se poser dedans. Il voulut baisser une main pour tâter la terre, mais se rendit compte que, des mains, il n'en avait plus.

- Tu devras guetter les fourmillements, ils t'indiqueront quand ce sera le moment de venir ici. Il ne faut pas qu'on te voit.

Sous les pattes d'Herbert, la terre lourde d'humidité frémit. Il recula, tandis qu'un bourgeon perçait la surface, et s'élançait vers le haut en se tortillant.

Wilaola en resta bouche bée.

- Mince alors, tu n'auras même pas besoin de mes ciseaux... C'est pour ça que j'avais besoin de cheveux, Herbert, pour faire germer de nouveaux plants. Mais visiblement tu y arrives très bien tout seul.

Un tout petit peu de jalousie brilla fugitivement dans ses yeux, et disparut.

- C'est une chance. Cette histoire de cheveux commençait à me causer des problèmes. Bon. Donc tu fais pousser, ensuite tu récoltes. Puis tu dois trouver une oreille blasée, une oreille cynique et fatiguée, et y déposer la graine qui fera germer la bonne question. Ce sera facile, tu verras, les gens aiment les coccinelles, ils seront ravis de te voir. Ils n'ont pas toujours été ravis. Mais au fil des siècles, il n'est pas étonnant que certains se soient rendus compte que certaines coccinelles étaient spéciales. Nous portons donc officiellement bonheur depuis le Moyen-Age. C'est à ce point que, parfois, ils essaient même de t'empêcher de repartir. Tu as peut-être toi aussi tourmenté une malheureuse coccinelle?

Elle lui jeta un coup d'oeil et se dirigea vers le fond de la pièce. Herbert secoua la tête et la regarda, incrédule et heureux à la fois.

- Il faut faire très attention à la qualité des graines, c'est important, tu ne veux pas aller gâcher la vie des gens avec des questions qui les rendront malheureux.

Elle s'arrêta devant un buffet couleur mandarine, et en ouvrit le premier tiroir.

- Depuis toutes ces années que tu viens me voir, si plein de questions, j'aurais dû me douter que tu viendrais me remplacer un jour, dit-elle finalement en lui indiquant, bien calée dans le profond tiroir, une corbeille à moitié pleine de belles graines renflées, qui, bien que sèches, émettaient encore par intermittence une petite lueur verte .

Elle alla ouvrir la fenêtre et entrouvrir les volets. Un rayon de soleil entra, en même temps qu'une douce brise, chargée de l'odeur de l'été. Herbert frotta ses antennes l'une contre l'autre, et alla se poser dans la corbeille. Il ouvrit ses élytres, déploya ses ailes et s'envola vers la fenêtre, les crochets de ses pattes retenant six graines, six germes de questions. Il adorait la vibration des ailes dans son dos. Il se retourna une dernière fois vers Wilaola, qui affichait bravement son sourire des grands jours. Plus rien ne l'effrayait. Plus rien du tout. Toutes les réponses étaient en lui. Il s'élança vers le bleu profond du dehors.


Copyright 2009 Valérie Abella

 

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Commentaires
V
Merci Maud! C'est un appel pour un conte expliquant l'origine des libellules? J'adore! et je t'embrasse!
M
Bravo Valérie pour cette nouvelle ! Merci d'avoir expliqué l'origine des coccinelles : je comprends mieux désormais pour quoi elles m'ont toujours fascinée !<br /> Je t'offre quant à moi un baiser libellule !<br /> A très bientôt<br /> Maude
V
Merci! Quand même les compliments ça fait du bien! Pour la peine je vais me remettre à l'écriture d'une autre nouvelle qui est en cours!
2
MERCI VRAIMENT MERCI !<br /> J'ai failli passer à côté d'un grand voyage et heureusement que j'ai commencé à lire (ensuite c'est plus facile... IMPOSSIBLE de s'arrêter avant la fin)<br /> Je n'ai pas, encore, les ongles bleus mais toi Val tu es une "sacrée coccinelle"
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